Page:Rachilde - La Marquise de Sade, 1887.djvu/29

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La petite fille marchait avec une extrême difficulté.

— Non, Tulotte, je ne dirai pas.

— Et je te porterai quand tu voudras ! fit la vieille fille un peu radoucie.

Avec effusion, Mary se précipita dans ses bras, et l’une portant l’autre, elles débouchèrent sur la place où se trouvait la demeure du colonel Barbe.

Le colonel Barbe était un officier de fortune sorti des rangs, selon l’expression consacrée. Il n’avait pas un grand train de maison ; sa jeune femme, toujours malade, — poitrinaire, prétendait-on — ne surveillait rien chez elle ; la cuisinière, une grosse rousse, faisait ce qu’elle voulait ; les deux ordonnances, beaucoup plus à la cuisine qu’à l’écurie, rédigeaient les menus, de concert avec cette fille qu’on appelait Estelle, et ces Némorins, tantôt gris, tantôt amoureux, mettaient parfois la maison dans un désordre inouï

On recevait peu. Les officiers du 8e hussards craignaient beaucoup leur colonel qui était de caractère cassant dans le service. Cependant, quand il arrivait de les réunir, il faisait servir des punchs très copieux, du champagne, des liqueurs fortes et, se souvenant de sa vie d’Afrique, le colonel Barbe permettait aux petits lieutenants d’en user plus qu’il ne convenait. Sa femme apparaissait durant quelques minutes parmi tous ces pantalons rouges, le temps de leur sourire de son air doux et résigné, ensuite elle regagnait sa chaise longue pour sommeiller au