Page:Rachilde - La Marquise de Sade, 1887.djvu/37

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— Sacrebleu ! tu vas me faire la même plaisanterie pendant un siècle… car tu vivras un siècle… j’en suis sûr !

— Oh ! je sais que cela te désole, reprit-elle en s’enfonçant dans son oreiller, tu espérais que je finirais tout de suite et je guéris !… Les hommes sont si égoïstes… c’est justice… ils ne se marient pas pour contempler des cercueils !

Lorsqu’il avait épousé la jeune femme, malgré ses quarante ans, le colonel Barbe ne se doutait pas, en effet, de la maladie qu’elle portait en elle et, malgré les pronostics décourageants des médecins, il se demandait souvent si ce n’était pas un genre adopté par une nature trop sentimentale.

Mary déshabillait sa poupée.

— Si tu ne disais pas ces choses-là en présence de ta fille ! ajouta le colonel arpentant de nouveau la chambre bleue.

— Il faut qu’elle s’habitue… Quand je lui manquerai ce ne sera pas sa tante qui la rendra raisonnable, elle n’a aucune autorité sur elle… et tu ne comptes pas sur la stupide Estelle pour me remplacer, j’espère !…

Daniel Barbe fit un mouvement violent… et voyant que, décidément, le temps orageux indisposait sa femme plus qu’à l’ordinaire, il sortit en fermant brusquement la porte.

— Mary, fit la jeune mère fronçant les sourcils, va donc voir à la cuisine ce que peut devenir Estelle. Si ton père y passe, tu me le diras ce soir.