Page:Rachilde - La Marquise de Sade, 1887.djvu/41

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tuait les vaches pour boire leur sang, que sa maman devait mourir, que son père remplacerait la soie bleue par leur cuisinière Estelle, que la Tulotte la battait, que la chatte la griffait, elle était décidément bien une malheureuse petite fille ! Et l’existence lui apparut la plus misérable des plaisanteries. Une angoisse, qui n’avait pas d’explication possible pour elle, envahissait son être débile. Elle se croyait marchant dans les îles désertes de Robinson Crusoé dont on lui lisait les histoires, un chagrin de vieille lui venait ; comme si elle eût vécu déjà de longues années, rien ne devait plus l’amuser ni l’intéresser. Connaissait-on les moyens d’adoucir les bouchers velus et de charmer les chattes jaunes ?… Autant valait dormir le jour comme on la forçait à dormir la nuit.

Elle s’approcha de la grille du jardin qui lui fermait l’entrée de la place ; des escadrons passaient revenant du terrain de manœuvre avec leurs longues files de pantalons garances. Ce rouge lui blessait, à présent, ses pauvres yeux pleins de larmes brûlantes. Le rouge dominait trop dans cette vie de militaire dont elle avait sa première sensation de petit être réfléchissant. Tout cela lui procurait un vertige atroce et elle cherchait vainement à s’expliquer, parce qu’elle était encore une enfant malgré ses rêveries de femme nerveuse !… Qu’allait-elle devenir ?

Au dîner elle ne mangea rien, pas même de la tarte aux cerises, ces cerises lui rappelaient la bles-