Page:Rachilde - Le Meneur de louves, 1905.djvu/337

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Ils étaient venus tous les deux, imitant ces bêtes folles en marche l’une vers l’autre. Chrodielde faisait de petits pas de biches aux écoutes et Harog rampait pour passer, sous les ronces. Se flairant, se tâtant, ils s’unirent les mains, se respirant d’une même haleine, buvant la joie de se reconnaître.

Elle dit, très heureuse :

— J’avais l’espoir que tu viendrais !

Il murmura, moqueur :

— En doutais-tu ?…

Ils ne pouvaient vraiment pas risquer de se voir dans la chambre de Chrodielde, car Ragnacaire, toujours plus inquiet, toujours plus jaloux, surtout plus clairvoyant, rôdait la nuit, buvant pour s’étourdir dès qu’il imaginait enfin le motif de ses nouveaux soupçons. Ragna devenait fou. Il tuerait d’ailleurs volontiers tout le monde parce que c’était la coutume des massacres maintenant dans la basilique ou dans les rues de Poitiers. Il y a une odeur plus grisante que l’odeur du vin : celle du sang qui bouillonne hors des blessures profondes. Depuis la mort de Soriel, ayant expiré après une lente agonie malgré les soins du berger-sorcier, la recluse, mangée d’ulcères et de vermine, se mourait à son tour et on l’arrosait de sang frais pour la gué-