Page:Rachilde - Le Meneur de louves, 1905.djvu/35

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boira que de l’eau et ne mangera que ce que vous donnez à vos chiens, car la viande et le vin communiquent des impuretés au corps qui fermente déjà d’amour. Toi, le grand roux, Ragnacaire, tu auras œil sur les bœufs qu’ils aillent d’un pas égal. Pourquoi ne dit-il rien, Harog ? ce grand roux ?

— Chef, excuse-le. Il a peur de ta face, murmura le berger, les dents crissantes.

— Voilà ce que j’aime, fit naïvement Chilpéric, des serviteurs muets qui redoutent ma face. Je ne ris point…

Il s’interrompit pour fourrager dans sa lourde moustache poissée de sauces.

— Mon cœur est en peine, mes pauvres gens ! Vous prendrez Basine ma fille, je veux dire la fille d’Audovère, qui fut reine, nos dieux et Dieu aient son âme ! C’est bien mon sang selon mes paroles. Vous en aurez la garde jusqu’au couvent de la Sainte-Croix, en Poitiers. Là vous la déposerez entre les mains de celle qui a ordre de la guérir pour la vie et pour l’éternité ? Si ce n’était pas vraiment ma fille, je n’espérerais rien de sa pénitence, mais elle aura du courage et elle priera aussi longtemps que je me battrai, c’est-à-dire jusqu’à ma mort. Je suis comme le roc. Je vivrai cent ans… et plus. (Il se leva, un peu titubant.) Harog et toi, le grand roux,