Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/125

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cette épouvantable première… Fièvre, délire… Tu as eu très peur pour mon cerveau, n’est-ce pas ? Eh bien, je trouve que j’ai besoin de distractions. Si je reste enlisé dans ces souvenirs funèbres, je suis capable de me suicider un matin de boue comme celui-ci, et tu seras très avancé, d’avoir voulu te ficher de moi. Je n’ai pas l’étoffe d’un sentimental. (Au hasard, il déchira une tenture.) Ah ! elle est gaie notre existence : courses au cimetière, lire, écrire… Un peu semblable, du reste, à celle d’avant la catastrophe. Le matin, promenade au Bois, autre genre de cimetière mondain ! Nous sommes en voiture où nous montons : petits cliquetis des brides, saluts échangés avec des rastaquouères qu’on ne peut se dispenser de rencontrer, quelques œillades d’actrices qui boivent du lait à la cascade. Le soir, après nos études ou un concert, excursions dans les sociétés hostiles… toujours seuls, car tu remarqueras que nous ne connaissons personne intimement. Puis on rentre, ou chez soi, ou chez elles, et on continue à s’assommer ! On est très correct, très bien vu, on apprend des tas de choses ignobles dans les filles ou dans les feuilles publiques, qu’on s’empresse d’oublier à son réveil, et dès que réveillé, on recommence : petits cliquetis de brides perpétuels des chevaux tournant dans un manège, saluts forcés… pour préparer la vie du soir identiquement hostile. Ah ! non, non ! J’en ai assez, moi, d’être des hommes sérieux, j’en ai assez !

— Dis donc, remarqua railleusement Reutler, je proteste en ce qui concerne les filles : parle au singulier ?