Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/130

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moi, et voici pour toi une épée plus solide ! Cela égalisera les chances !…

Il alla décrocher une épée superbe, étincelante, dont la pointe avait l’air de ne pas finir tant elle était aiguë, la lui offrit.

— Mais !… fit le cadet reculant.

— Allons ! dépêchons ! Je suis sans masque, sans plastron, en chemise de soie, et cependant je suis certain de rester le plus fort, même avec mon fleuret… À toi de me faire mentir, cher petit !

Et avant que le jeune homme ait eu le temps de protester, il attaqua et lui porta un violent coup de bouton à la poitrine.

— Premier bleu ! dit-il ricanant de son air triste.

Paul sauta en arrière. Il serrait l’épée, tout frissonnant de rage, les yeux sombres, encore hésitant.

— Laisse-moi tranquille ! Mais laisse-moi tranquille, c’est ridicule, à la fin, tu vas te faire égorger ! cria-t-il affolé par la tentation de forcer l’ennemi.

— Second bleu ! continua Reutler en étendant le bras impassiblement.

Alors Paul oublia toute l’horreur de leur situation, il se crut en état de légitime défense ; et, à son tour, tendit le bras d’un prompt geste de révolte. Reutler eut à la mamelle gauche comme la sensation d’une morsure venimeuse.

Un cri rauque, un cri de pauvre bête qu’on martyrise retentit au fond de la salle, les fit se reculer, honteux.

Jorgon était entré, les mains levées. Il se précipita sur les deux frères.