Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/132

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lisser les cheveux, lui jurer qu’il était enchanté de l’accident.

— Au contraire, répétait il, j’avais besoin, moi aussi, de ma petite leçon ! Le plus malheureux, c’est ce pauvre diable qui nous a surpris ; il faut aller déjeuner pour le rassurer…

— Mon frère chéri ! soupirait le cadet se pressant tout ému contre la robuste poitrine de son aîné.

— Chut ! fit celui-ci se dégageant, nous n’allons pas nous attendrir comme des petites filles, ce serait bête ! L’honneur est satisfait, donc nous sommes… de très grands garçons et… nous n’avons plus qu’à déjeuner de bon appétit ! C’est la conclusion logique.

— Tu m’en veux ?

— Non, j’ai faim !…

Dans la vaste salle à manger, toute fleurie de vieilles faïences, qui luisaient discrètement sous un océan de plantes vertes, où un gros feu flambait, hospitalier, joyeux, semant des pierreries le long des réchauds d’argent et des cristaux mousseline, où les vins prenaient des lueurs d’ambre, ce fut Paul-Éric le plus gourmand. Malgré l’impatience du blessé, il avait pansé la plaie qui était son œuvre, et, désormais en paix avec sa conscience, il dévorait des bouchées aux huîtres, buvait sans mesure, en lançant toutes ses coutumières railleries. Reutler, plus calme, lui donnait volontiers la réplique, le regardant un peu étonné et n’osant pas lui faire part de sa surprise. Est-ce que cette haine féroce de jeune Français allait se