Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/133

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borner à cette tentative presque ridicule ? Était-ce la trêve ou le dénouement ?

Jorgon les servant, le front penché, très humble, laissait souvent glisser quelques gouttes de vin sur la nappe, une fourchette par terre, et se confondait en excuses.

— À propos : nous avons le carnaval ces jours-ci ? demanda Paul tendant son verre.

— Je crois que oui ; n’est-ce pas, Jorgon ? murmura Reutler au hasard, car il ne savait jamais rien de la vie de la rue.

— Ces Messieurs ont raison ! Nous sommes en carnaval, affirma le vieux domestique.

— Si on s’amusait ? risqua Paul. Voyons ! (il compta sur ses doigts.) Lundi, mardi, mercredi, jeudi, pour un costume, ce sera court ? Reutler, mon grand, est-ce que tu permets le costume, à l’Opéra, histoire de chasser la mélancolie qui engendre toutes les mauvaises passions !

Et avec une féline tendresse il frôla sur la poitrine de son frère l’endroit de sa blessure.

— Carte blanche, mon cher enfant, répliqua Reutler tressaillant, pourvu que tu me laisses à la maison. J’en ai tellement la nausée de tes fameuses nuits d’Opéra, si vieux jeu et si fatigantes !

— Non ! tu me suivras, je le veux ! Avec toi, je vis double. Besoin du témoignage de ta gravité pour m’expliquer mes sottises. J’ai un vague plan, ce sera drôle. Tu verras !… Jorgon, le coupé pour cinq heures. Je sors, aujourd’hui.

Le café humé vivement, Paul remonta chez lui afin d’y feuilleter une superbe collection d’estampes qui le charmaient depuis huit jours.