Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/141

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son profil de camée dur, ses yeux bleus d’acier flambant dans l’ombre du koheul, sa bouche rouge aux luisances de corail, il eut l’impression atroce de voir vivre une statue.

— Je suis ravi, Mesdames, et il ne me reste plus qu’à vous remercier, dit l’image impériale en daignant tendre ses mains aux femmes prosternées, qui se relevèrent, sourirent discrètement, et s’esquivèrent, prévoyant que l’homme noir, toujours silencieux, allait peut-être faire une scène.

— Est-ce assez réussi ? cria Paul reprenant sa voix gouailleuse dès qu’elles eurent disparu. Je ne me reconnais pas moi-même. Elles m’ont coiffé, fardé, habillé comme de simples valets de chambre. Ma petite fantaisie va me coûter cher, mais ce que je m’amuse ! Bien dommage que par décence on ne puisse pas employer des femmes à son service intime. Qu’en dis-tu, toi, le hibou ?

— Je dis, tonna Reutler se jetant sur lui d’un mouvement de colère brutale, je dis que c’est abominable et que vous ne sortirez pas ainsi avec moi ; cela, jamais !… jamais !…

Ne pouvant plus le reconnaître, il ne voulait plus le tutoyer. Il saisit son bras, ce bras d’ivoire, où ses doigts se blessèrent aux aspérités des pierres précieuses, puis, comme si le contact froid de l’icône l’eût médusé, il laissa reglisser ce bras, d’une lourdeur de marbre, dans le chatoiement voluptueux des soieries.

Paul partit d’un immense éclat de rire, il délirait, se tenait les côtes.

L’aîné qui prenait la chose au tragique, à présent ! Quel être insociable !