Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/151

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— Non, je suis toujours le plus beau. Je leur fais peur. Comprends-tu ?

— Oh ! je comprends fort bien, dit brutalement la fille saisie d’une angoisse singulière, je ne suis pas sourde ! Vous êtes taillée, d’ailleurs, pour ces emplois-là, ma pauvre princesse. Pas de hanche, pas de gorge, et, avec tous ces avantages, un aplomb de toréador ! Seulement, moi, je ne marche pas sans un sérieux béguin ou la forte somme. Et voici mes conditions : à mon corps défendant, j’exige que votre mari, si vous en avez un, vienne lui-même ratifier le contrat… Pas confiance dans les princesses qui courent les rues en temps de carnaval !… Pour le béguin… il faudrait me faire la cour… devant tout le monde, à visage découvert, et aussi bien chez vous, à votre jour, que chez moi, dans ma, nuit. Choisissez !

Le ton de Marguerite Florane s’était élevé, dur, implacable. Tenir enchaînée une de ces reines de la névrose, la torturer jusqu’aux pires actes de folie, était un songe qu’elle faisait vaguement à travers ses nombreuses ivresses. Marguerite avait des simplicités de brute. Elle pensait qu’on peut se venger des hommes sur les femmes, et réciproquement. Celle-là, tout bien considéré, des détails de sa toilette aux grains de sa peau, n’était pas une actrice, car elle ne soulignait ses effets d’aucun geste ; ni la collègue : elle se serait trahie par une expression technique ; encore moins la mondaine connue : elle aurait plus agi que parlé. Celle-là, c’était probablement une fantasque de la colonie étrangère, fabuleusement riche et capable de tout. On allait voir.