Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/167

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— Tu as tellement d’esprit, Juliette, qu’on ne peut rien te cacher. Oui, je vais à un rendez-vous. Il s’agit d’une ancienne. On doit toujours être poli vis-à-vis de ses grand’mères.

— Tu l’as déjà oubliée, l’autre, la… morte ?

Et Juliette eut un petit geste digne.

Les trois fleurs se balançaient toujours, souriaient d’un même sourire qui semblait faire partie de leur livrée. La plus jeune, Juliette, était grave et souriait, les deux autres avaient l’air grave et souriaient. Elles levaient leurs longues tiges déliées, d’un mouvement rythmique, leurs pieds, préhensiles comme des mains, se frottaient, talon contre talon ou pointe contre pointe, avec la rapidité d’aiguisement que mettent les mouches à se frotter les pattes. Sous les maillots de soie blanche, s’irisant d’un reflet de peau plus blanche encore, on eût dit que transparaissait un sang blanc, une sorte de sève particulière, crémeuse, une essence végétale qui s’évaporait en deux gouttes de rosée sur leur figure.

Paul les entoura toutes les trois de son bras lourd, les courbant, heureuses, sous la royauté de ses bijoux. Il les embrassa, cueillant les bouches comme on égrène les grains d’une même grappe, et toutes elles eurent ensemble le même frisson de plaisir.

Cela commença par la tête de la plus jeune qui se renversa, les yeux clos, traversa la poitrine de la seconde qui poussa un soupir, et finit aux petites jambes trépignantes de la troisième, lesquelles frétillèrent dans un entrechat léger.

La paix faite, on redescendit.

— Nous avons soif ! déclara la plus grande.