Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/195

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tous les hommes, si je ne suis pas votre fils unique, je suis cependant l’unique. Vous le savez bien que l’opprobre de mon âme est le plus grand de tous les opprobres. Que rien ne peut dépasser mon ignominie… Prenez garde ! J’ai failli vous tenir dans mes deux mains, j’ai failli vous… inventer pour consoler les autres, distribuer votre corps sacré aux pauvres qui ont faim d’illusion ! Prenez garde que pour me consoler, moi, l’inconsolable, je n’aille vous épouvanter un jour de mes blasphèmes, et, vous revenant tout entier, je ne vous crucifie sous mes ongles ! Je vous répète que c’est trop ! Il vous faut descendre ici pour savoir ce qui s’y passe ! Venez, je le veux ! Je ne suis pas fou et je ne puis pas, jusqu’à cette nuit, me reprocher le moindre acte de démence, mais je sens que la fixité de la pensée peut me conduire où j’ai résolu, sans vous, de ne pas aller. La seule chose douce que vous nous ayez laissée, je crois, c’est d’être… ennemis, mais cette douceur est toute factice… vous daignez aussi nous la retirer ! Enfin, dites ? faut-il que je le tue ? Est-ce cela que vous voulez ? Demain, il sera trop tard, il sera seul, et alors… (Il éclata en sanglots convulsifs.) Ma vie ne sauvera pas la sienne, si je meurs demain rien ne protégera cette créature ! (D’un air égaré, Reutler poursuivit doucement, presque peureux :) Vous n’êtes pas médecin, vous, puisque vous avez créé toutes les maladies, toutes les névroses, vous ne pouvez pas savoir ce qui rôde autour de ce cher être sans autre défense que l’esclave qu’il s’est fait. (Reutler serra les poings.) Parlez donc, venez, manifestez-vous, je vous jure que dix ans de tortures subies