Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/196

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sans me plaindre sont peut-être une raison pour accomplir le miracle ! Je ne sais plus ce que dis… et je suis tellement sûr de dire la vérité !… Si, si, vous êtes médecin. Songez donc ! Vous avez envoyé un ange à un de vos serviteurs, un imbécile, pour lui révéler que le fiel de poisson était souverain contre l’inflammation des paupières. Vous en souvenez-vous ? Je vaux peut-être, moi, l’homme doué d’intelligence, la peine d’un messager qui me dira comment je puis garer mes yeux de cette horrible vision : mon frère, mon enfant seul à la merci des brutes. Seigneur ! ma volonté suffisait hier, mais, demain, s’échappant de ma poitrine trouée, où ira-t-elle ! M’assurez-vous que mon souffle, que mon âme enveloppera toujours cet être ? Ma volonté ! Elle peut dresser en face de vous le plus monstrueux des hommes, l’ennemi le plus redoutable que vous puissiez avoir, un satan qui finira par s’honorer d’être Satan et se trouvera plus dieu que vous ! Avez-vous la prétention de vous jouer de moi jusqu’à me faire votre complice ? Seigneur… je crie vers vous parce que mon orgueil est immense, il ne peut plus que s’adresser à Dieu ; Seigneur, puisque vous m’avez ébloui par la beauté d’une tentation surhumaine, faites-moi donc votre égal si vous voulez que j’y résiste !

Rampant sur les genoux, Reutler se rapprocha du lit somptueux où était étendue la princesse byzantine comme sur son tombeau. Elle venait de laisser glisser son bras gauche, et sa main étincelait près des lèvres du malheureux. Elle était fort belle, cette main de garçon, étroite, longue, fuselée aux extrémités, si femme, si molle dans ce sommeil