Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/197

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alangui par toutes les fatigues d’une nuit de bal. Reutler la considéra épouvanté.

— Non, dit-il, ce n’est pas la main de mon frère ! Je ne reconnais pas cette main…

Il la prit, en détacha une bague, au hasard, celle de Jane Monvel, une opale sertie dans une chevalière d’or mat, et il la passa très vite à son annulaire ; mais la bague s’arrêta, bien trop petite pour lui, dès la première phalange,

— Je ne t’ai jamais si bien aimée ! déclara Paul d’une voix chaude, s’adressant à Geneviève dont il essayait de calmer la crise de nerfs ; car, décidément, Reutler n’était pas venu la voir au milieu de son désordre de pauvre amoureuse violée.

— Mon Dieu ! fit Reutler tressaillant de tout son corps. Est-ce le signe ? Dois-je le tuer ? Dois-je l’épargner ? Faut-il que j’essaye de revenir ? Ah ! Bien-aimé ! Bien-aimé ! répéta-t-il en écho à la voix de son frère.

Paul ne se réveilla pas.

L’aîné se leva, gagna doucement le boudoir orné de grandes glaces qui servait de cabinet de toilette au puéril jeune homme et où se tenaient, gardiens du palais de la Belle au bois dormant, les ironiques fantômes de sa vie d’enfance, le polichinelle mi-partie rose et jaune, le grand scaphandrier dont les mornes œillères de cristal veillaient macabrement dans le vide. Reutler détacha la petite hachette du flanc de ce triste bonhomme de fer.

— Moi aussi, dit-il, de son ordinaire voix sourde, je vais savoir comment on écrase une perle fine. Je frapperai à la tempe et d’un seul coup, pour