Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/206

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vouements, ne voulant pas tenter l’expérience décisive d’une explication, car il redoutait ses réponses comme on redoute la chute d’un somnanbulique. Il se disait qu’un terme brutal, une allusion impertinente, même un regard, un seul regard de dédain, précipiterait Paul, romprait net un accord beaucoup trop parfait en y jetant la dissonance de la découverte. Il déplorait, vainement, l’éducation licencieuse qu’il avait désiré lui donner en contraste de ses principes d’austérité, regrettait surtout la femme, l’éternelle plaisanterie, sinon l’éternel féminin, cette jolie coutume de Paul-Éric de les tourner toutes en girouettes ridicules selon le vent froid de ses caprices. La femme ? Est-ce qu’il ne l’apportait pas dans ses moelles, ce bel éphèbe qu’on avait tant aimé, qui conservait comme le parfum, la griserie des caresses ? N’avait-il pas l’épiderme frotté de sa luxure, la bouche encore vernie de ses baisers ? Reutler n’osait ni le gronder, ni le regarder, tout en se répétant qu’une précision de fait devenait nécessaire, dût-elle finir par les perdre. C’était, entre eux, comme la surface unie d’un fleuve, noir, transparent, dont le fond pouvait aussi bien se former de vase ou de sable pur, un fleuve dont les deux rives situées à mille lieues l’une de l’autre ne se trouvaient rapprochées que par leur calme, une subite tranquillité de l’eau qu’un seul petit caillou, tombant, riderait de l’un à l’autre bord, pour toujours. Esclaves de leur propres pensées, ils avaient fui la seule chose qui les maintînt hors de ce cercle vicieux, le cercle encore plus vicieux des corvées mondaines. Leur exis-