Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/205

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profilent un être à l’extérieur de sa propre lumière. Il saisissait, quelquefois, son pied dans sa main, en enfant qui s’amuse. De temps à autre, il retroussait, de l’index, les ailes palpitantes de ses narines ou s’absorbait en la contemplation de ses paumes, puis, essayait des cravates neuves, variait la forme de leur disposition ou de leur nuance, avait la passion des chaussettes de soie noire à baguette verte brodée, vert mort, vert tendre, vert bleu, des chemises russes de surah fin, très compliquées de plis flous, les assortissait à ses vêtements comme des dessous équivoques. Irréprochable, par exemple, dans le choix de ses habits toujours sombres, d’une coupe droite, il affectait, hors de la chambre, devant des arbres, parcourant la déserte forêt de Rocheuse, des allures guindées, un peu raides d’un apprêt de trop bon ton.

Venu à la nature après une existence d’artificiel, la nature le faisait paraître plus artificiel, outrant ses défauts au plein soleil de la réalité. Et plus dangereux vis à vis d’elle, il lui volait sa science du silence. Il apprenait à se taire, à voiler le précipice de son âme de tous les voiles de la mélancolie.

Reutler le suivait, sur ce sentier montant on ne savait plus bien jusqu’à quel sommet, Reutler portant une croix toujours plus meurtrière. Il n’osait déjà plus le questionner ; après avoir désiré éperdument le voir s’assagir, on sentait qu’il commençait à regretter les temps carnavalesques ou le rire tenait lieu de morale. Étudiant sans cesse son sujet, comme l’horticulteur étudie le développement d’une monstrueuse fleur double, il l’entourait de tous les soins et de tous les dé-