Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/208

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

plaines, ils ne négligèrent aucun sport et par-dessus tout, c’était la gymnastique intellectuelle, les aveux échangés à travers le symbolisme des actes et des choses, l’exercice fou du trapèze cérébral, tellement à la hauteur d’une sublime institution religieuse, que leur mutuel orgueil, dans le désespoir d’être trop beaux, montait, farouche, prêt à éclater comme un astre en fusion.

Un jour, Paul, ayant devancé son frère sur un chemin fleuri, l’appela pour lui montrer puérilement des violettes. Reutler n’entendit pas. Paul éleva la voix et dit :

— Hadrien ?

Reutler ne respirait plus, ne dormait plus. Qu’un objet se brisât à Rocheuse, qu’un coup de cognée retentît parmi les arbres les entourant, il tressaillait, croyant à la fin de leur monde. Il ne pensait pas que cet état de leurs âmes devînt normal, car il connaissait le démon et il guettait sa prochaine colère, qui serait une œuvre de mort selon la logique de ses évolutions passées. Mourir ? Pourquoi lui, le plus conscient, ne l’avait-il pas pu lors de ce duel misérable ? Pourquoi l’avait-on ménagé, supposant qu’il était le gardien tout désigné de leur honneur, et pourquoi, aujourd’hui, ce même honneur le retenait-il, silencieux, devant le précipice ?

Durant une de ces longues courses à pied qu’on faisait dans un pays hostile où ils ne connaissaient personne, répondaient du haut de la tête aux rares saluts des paysans, ils s’étaient arrêtés sur le bord d’un autre précipice, moins effrayant car moins fictif. Le sentier, fermé par un