Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/209

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étranglement de roches, surplombait la cascade d’une rivière se volatilisant en vapeurs. Las, ils s’assirent et Reutler eut une angoisse, soudainement tenté par une tentation diabolique, une de ces tentations que rien ne fait plus fortes que la possibilité d’y succomber sans autre témoin que sa conscience. Au-dessus d’eux, un ciel implacablement clair leur brûlait le crâne et à leurs pieds, l’eau chantante, cristalline, hurlait avec des attirances de sirène… mais, une fleur d’edelweiss mettait un sourire un peu rose dans l’ombre du gouffre, et cela fut, cette fleur, comme le subtil épanouissement de leurs appétits de fauves. Paul se glissa jusqu’aux, arêtes du rocher, s’agenouilla, se pencha, puis se releva, maussade, toisa Reutler :

— Tu es plus grand que moi ! dit-il énervé.

— Sans doute ! fit Reutler qui demeura immobile.

À voir s’étirer ce corps frêle et gracieux de l’homme-enfant lancé à la conquête d’une fleur, lui, Paul de Fertzen qui possédait les serres de Rocheuse, de magnifiques collections d’orchidées et de roses, Reutler ne put d’abord s’empêcher de sourire. Tout souriant, il songea qu’un geste suffirait à précipiter cette créature trop divinisée, dont il portait le culte comme une lourde croix. Un geste, un simple geste, une légère poussée vers les abîmes. Le corps disparaîtrait, laissant un souvenir pervers, si charmant ! Une issue normale en tous les cas. Il s’attendait bien à ce que le jeune homme lui demandât cette fleur, parce que cela c’était très : héroïne de roman. Reutler ne