Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/238

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roles, quand on réfléchit qu’on porte tout en soi comme en un tabernacle dont seul on a la clé. Certes, je ne suis pas infaillible, mais j’ai si belle volonté de l’être que je le suis déjà. J’ai fait de la nature le décor de ma volonté et je suis hors d’elle, au-dessus, désormais, comme celui qui la peut changer selon ses visions, la rendre l’artifice. Elle peut me tendre des pièges, je ne la crains plus, elle est tellement pareille et a tellement les mêmes buts sous ses multiples aspects d’ensorceleuse !… Le pied de mon frère s’il se change en le pied d’une courtisane quelconque n’est pas, vraiment, un instrument digne de ma perdition. Je n’aime pas les filles, je n’aime pas les femmes, j’aime encore moins leur simulacre. Je ne transige en aucune manière avec ma conscience, car je suis trop conscient de mon crime… ou de ma vertu ! Rien ne me prouve encore que je ne suis pas supérieur à tous, puisque je suis seul… Éric ? Où es-tu ?… Ah ! Là, près de moi ! Ton cheval me devance un peu… on dirait, dans la nuit, que sa clarté pâle est le rayonnement projeté par le souffle exaspéré du mien. Je ne sais pourquoi nos chevaux tremblent ainsi sur cette route ?… Éric, laisse-moi penser vers toi. Je te révèle ces choses sans les unir par les équivoques incidentes d’usage, parce que je suis trop lourd de tout le poids de ma force pour jouer légèrement avec ma passion. Je ne saurais plaisanter comme toi et j’ai assez de toutes tes comédies. Je serais ridicule de t’écouter en me dissimulant davantage. Éric, écoute bien ceci, à ton tour : Je t’aime. Il ne faut plus jouer sur les mots… et encore moins avec les gestes. Pourtant, mon secret n’est pas le tien. Il