Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/239

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est toujours mon secret. Dans cet aveu tu ne peux plus saisir, malgré ta grande lucidité d’intellectuel, ton esprit de ruses et de si belles perfidies, qu’une idée folle… ou une honte. C’est là mon triomphe. Je suis déjà parti, toi, tu arrives. Nous ne nous retrouverons jamais ! En l’espace de presque dix années de torture et de désespoir sans nom humain, j’ai eu un éblouissement et j’ai cru que nous étions perdus, mais l’habitude de la volonté, un exercice de mâle s’il en fût, ne se perd pas si vite. Elle veille et nous ressaisit au bord des précipices, comme la mère qui reprend son enfant. Ma volonté m’a si bien enveloppé, depuis des années, qu’elle me paralyse malgré moi. Et c’est le miracle accompli au moment du doute !… En vérité, le feu purifie tout, ce n’est plus un vain symbole !… Nous sortons d’une épreuve un peu plus nets que quand nous y sommes entrés. Je dis nous parce que tu es mon corps, et que je suis ton âme ! (Il ajouta, ricanant doucement :) Ce qui t’explique, cher, que tu pourrais bien être un corps sans âme. Pourquoi, petit haillon blanc, faut-il que je t’aime, c’est la chose cachée, l’unique chose dont je ne peux ni ne veux m’occuper, pas plus que le savant très raisonnable ne recherche les raisons du commencement du monde, les bases de la terre. Mais, je me soucie de la fin : je veux me demeurer fidèle ! je ne puis pas me tromper. Est-ce mon atavisme, est-ce mon cerveau, saoul de sang par mon père et ta mère, est-ce le premier bercement corrupteur des prières catholiques, est-ce enfin ta très réelle beauté qui me versèrent ce poison, me communiquèrent la folie du désespoir avant la lettre, me