Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/24

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prendre aux moelles ? En ce cas, je t’absous. Soit, nous irons chez la comtesse.

Paul, qu’on entourait d’une pelisse d’astrakan, posa la main sur l’épaule de son frère aîné et le regarda, dans les yeux, affectueusement.

— Je disais que ton système d’éducation était déplorable : je m’explique. Ton contact me rend difficile. Je cherche, en tous et en tout, la parité du lien intellectuel qui nous unit, sans arriver à en découvrir même l’illusion. Je demande aux femmes de m’être apaisantes et elles m’énervent : je supplie l’art de m’exalter et il m’humilie. Toi, tu ne m’as jamais ni impatienté ni blessé. Je vais bien, ma foi, jusqu’à vouloir, dans les objets, l’inébranlable solidité de ta poigne ! Non, je ne peux m’unir entièrement à rien et je suis fou de penser que c’est toi, mon frère, qui es cause de mes multiples déconvenues. C’est le moment critique où, manquant de point de comparaison, on se sent l’envie basse de reprocher à son initiateur d’être trop haut, de planter là le bonhomme trop parfait pour aller courir après un absolu plus bourgeois. Fuir ! j’ai envie de fuir, mon grand !

— Seul ? interrogea l’aîné dont la voix monta, très grave. Si telle est ta volonté, tu es libre. Je te l’ai déjà dit : je t’ouvre, d’avance, toutes les portes.

— Non ! Non ! Est-ce qu’on peut se fuir soi-même ? murmura Paul secouant la tête. Allons-nous-en tous les deux, puisque nous sommes le monde à nous deux. Allons-nous-en, et pas pour des voyages, car la terre est si mesquinement ronde qu’on ne doit pas garder longtemps le désir de tourner autour. J’ai assez des voyages, comme