Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/25

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j’ai assez de ces dames ! Ah ! les nouveaux printemps des anciennes contrées sont toujours de vieux printemps ! Puis, l’approche de l’Exposition[1] me donne la nausée. Tous ces peuples qui vont venir nous voir dans notre cage et qui nous jetteront du pain à travers nos barreaux (à moins qu’ils ne nous arrachent quelques plumes) me poussent vers la nudité libre des campagnes… Je t’entends ! Je n’aime pas la campagne. Eh ! je ne sais plus ce que j’aime ! Cependant, Reutler, je te jure que je me sens attiré par la solitude. Je devine, dans la nature, une bouche terriblement muette dont je voudrais les baisers, sans autre explication. Allons à Rocheuse. Ce sera drôle. Hein ? Jorgon, en plein hiver !… Créons-nous un exil d’héroïque travail où la femme ne sera plus qu’une question d’hygiène. Oh ! je nous vois, mon cher grand, fourrageant, à des époques fixes, les mêmes dessous rustiques de la même paysanne complaisante qui nous dirait, en se retirant, sans rougir : « Ces Messieurs ont bien de la bonté ! »… Et quelle furie de vie intime, de causeries scientifiques, d’expériences à propos de la neige ou de la foudre, que de livres dévorés en commun et quel silence, tout à coup, entre nous deux, qui, décidément, ici, n’avons pas le temps de nous recueillir. Toutes les bibliothèques sens dessus dessous, et, levant nos fronts, après une journée de labeurs féroces, tous les nuages escortés, par nos yeux ravis, jusqu’au bout de l’horizon !… Reutler, mon grand, est-ce que tu as une idée bien nette de cette vie-là ? Réponds un peu ?

  1. 1889.