Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/241

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Qu’est-ce que tu as sucé avec le lait de ta nourrice, cher garçon détraqué ? Oh ! petit Éric, te rappelles-tu quand tu pleurais, tout enfant, des heures entières, sans motif, me répétant que tu avais du chagrin à te voir pleurer ? Et tu te mettais devant les glaces pour te mieux désoler à t’enlaidir. Le drôle de petit être que tu étais, si svelte, si pâle, éclairé de deux yeux aux lumières vacillantes, de prunelles s’ovalisant, se rétrécissant ou s’élargissant tout à coup comme des prunelles de félins, buvant le jour pour le rendre en phosphore, tes prunelles, ces deux flammes bleues, ou droites dans le vent de la fureur, ou couchées sous la brise d’une affection éternelle qui durait, généralement, vingt minutes ! Ah ! Femme ! Femme exquise et que je déteste ! Car, Éric, ce n’est pas la femme que je cherche en toi. Ma passion n’a rien de maladif, elle ne désire pas. Elle veut, donc, elle obtient. Je t’ai tout entier en moi-même ! Je t’emporte où que j’aille, et en te suivant c’est moi que je suis. Je te tiens si bien que, quand, par hasard, je rechausse ton pied de fille nerveuse, j’ai peur de lui comme d’une bête que je n’ai jamais aperçue ! Est-ce que je regarde mon pied, moi ? ce sont là des jeux de petit idiot ! J’ai ma raison ! je t’ai vu dans toutes les attitudes, disons : dans toutes les prostrations. Témoin très tranquille, j’ai assisté à toutes tes bonnes parties de collégien ou d’homme. Je dois même ajouter que grâce à tes complaisances singulières, je t’ai vu beaucoup plus que je n’aurais dû te voir… pour ton repos. Tu vas comprendre, cher enfant ! Par extraordinaire, mes troubles… cérébraux ne sont pas les mêmes que les tiens… Tu n’es pas un vrai…