Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/240

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donnèrent cette passion faite d’extase et de renoncement… Je ne sais ! Puisqu’il me faut la subir, qu’importe ! Tous les jours je me rends compte que tu es indigne de moi, et tous les jours je t’aime un peu plus. Oh ! Éric ! Où vas-tu t’enquérir de volupté ! Ma folie m’enivre d’un vin si sincèrement pur qu’il ne faut pas s’étonner de me voir chanceler malgré ma force. Ce qui peut me faire peur, ce n’est pas ma propre image que je regarde quelquefois dans tes yeux. Rien ne me semble plus normal et plus naturel que ma pensée vers toi. Jusqu’ici je me suis tu, non par pudeur, mais parce que je ne tiens nullement à être deux ; et si je parle, c’est pour t’éviter des méprises regrettables. Que ma vie intime soit chaste ou ne le soit pas, cela doit te demeurer indiffèrent comme à moi-même. À cette heure mystérieuse d’une nuit qui m’a failli brûler jusqu’aux moelles, je suis tellement seul en face de moi que je ne te redoute point. J’ignore si tu rougis — cela serait étonnant — ou si tu as la grimace sournoise que tu me faisais, tantôt, quand je tenais ton pied souple dans mes deux mains !… À propos : tu as fini par les égarer pour de bon, tes fameuses mules brodées de perles ? Elles sont restées dans le feu et elles le méritaient, tu en conviendras. Mais tu dois avoir froid, ma princesse, cela me tourmente ? Réponds ? Tu as froid ? Allons bon ! Tu pleures ? Quelle rage d’exaspération ! Je ne te dis rien que de fort simple. Que ne compliquerais-tu pas, toi, avec tes nerfs à fleur de peau ! Ne pleure donc pas ainsi ! Les larmes sont plus malsaines que le rire… toutes les jolies faiblesses de femmes sont malsaines !