Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/246

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pouvait voir le château de Rocheuse perché là-haut comme un nid d’oiseaux méchants.

Les chevaux, qui dansaient depuis quelques minutes, se dérobèrent subitement, en un double écart, et Paul, debout, pieds nus sur ses étriers faillit perdre l’équilibre.

— J’ordonne, dit-il de son ton sec où revenait tout le dandysme de sa perversion, que tu me passes un revolver pour tuer cette sale bête ! La voilà qui a peur des églantines, maintenant ! Je veux bien crever de désespoir un jour ; avant, j’ai la fantaisie de crever mon cheval. Il est gentil, ton dressage !… Aussi vicieuse que les blagues de Platon !

— Éric, pria Reutler effrayé, je ne veux pas que tu la brutalises. Il y a ici quelque chose d’insolite. C’est la deuxième fois que cela se produit à la même place. Permets-moi de descendre et d’aller voir. Tiens, prends mes rênes ! C’est du côté du roncier. Je jure de t’obéir s’il n’y a rien.

— Dépêche-toi ! Tu aimes trop les animaux ! Vrai ! Ça m’amuserait de te faire massacrer cette mauvaise tête-là !

— Je suis sûr que la tienne a tort, mon cher petit, et à jurer je ne m’engage pas énormément.

Droit, dédaigneux, Paul-Éric de Fertzen se tenait tout livide dans ses vêtements, lacérés, maculés, comme un jeune prince déchu que son peuple vient de traîner par la voie ignominieuse, mais il gardait sa beauté d’archange et la stoïque cruauté de ceux qui se sentent encore capables de conquête. Reutler avait parlé, cette étrange nuit de printemps, et c’était l’irréparable. Il ne pouvait plus fuir. On verrait bien lequel serait plus lâche, un jour, de