Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/26

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L’enthousiaste jeune homme se dressait sur ses pointes comme une danseuse au milieu d’un décor. Il oubliait Jorgon, demeuré debout, devant lui, offrant les gants de la main droite pendant que sa main gauche présentait respectueusement le claque doublé de satin blanc. Tourbillonnant dans ses idées tumultueuses de poète capricieux, comme une fille qui froisse des dentelles sans pouvoir en choisir aucune, il semblait prier son frère de l’admirer sous ce passager travestissement d’une pure pensée d’exil. Reutler haussa les épaules.

— Divagation littéraire ! Tu aurais vite assez de la retraite, mon petit. Voyons, partons-nous ?

Plus blême, plus nerveux, il ajouta :

— Et c’est pour suivre les nuages que tu quittes la comtesse ? Tu mériterais le fouet !

Reutler boutonnait son manteau ; ses doigts, agités d’un frisson convulsif, déchirèrent l’angle de son col de fourrure.

— Jorgon, mes agrafes ne tiennent pas. Tu es si occupé à pomponner mon cher frère que tu ne visites pas mes agrafes ! Vieux Jorgon, je ne suis pas content. Allons ! Dépêchons-nous… L’odeur de cet ambre royal est vraiment intolérable ! On se croirait chez une catin, ma parole !

Aussi pâle que son plastron de chemise, Reutler eut une sorte d’éblouissement. Il fit un pas, chancela, et on le vit frémir, de tout son corps élancé, comme un arbre aux prises avec un vent brutal, puis, il releva la tête, aspira l’air péniblement, mit son chapeau.

— Reutler, mon Dieu, qu’est-ce que tu as ?