Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/289

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ture est bonne. Rien n’est autrement que naturel. Pourquoi ne pouvait-on s’aimer noblement ? Et quelles chimères zébraient le ciel fulgurant d’ombres noires ? Pourquoi pas l’espoir du bonheur au lieu de l’espoir de la mort ? La volupté qui cesse d’être un supplice demeure-t-elle la volupté ? Seul, celui qui l’a inventée, en inventant le monde, doit être maudit.

Calme ! douceur ! Son Éric, un enfant ! On ne tue pas les enfants malades. Il se guérirait. Et Reutler, l’index sur ses lèvres frissonnantes, le contemplait, récapitulant toutes les chances qu’on avait encore de vivre.

Le jeune homme lui obéissait, depuis quelque temps, avec une docile promptitude d’élève qui désire plaire au maître. Le matin même, il s’était levé dès l’aube pour aller à l’étang de Rocheuse prendre ce bain glacial que prescrivait la sinistre hygiène de l’aîné, dans une pièce d’eau perdue en forêt, cernée de basses branches vertes la faisant sombre, presque couleur d’encre. Tableau charmant… mais que Reutler ne voyait qu’imaginairement, car il refusait d’accompagner son frère. Il le confiait à Jorgon, les yeux clos, regrettant de ne pouvoir aveugler tous ses gens, le groom, ce garçon dont le regard faux suivait Paul-Éric à travers les halliers, comme un vil braconnier suit les ébats d’une bête merveilleuse qu’il convoite, n’osant pas encore lui tendre un piège. Non, ce serait trop lâche, cette jalousie sans objet ! Reutler, le maître, était trop haut… mais l’étang de Rocheuse était bien loin ! Il rêvait d’entourer ce petit lac de murs énormes ou de palissades impénétra-