Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/290

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bles… et quand Paul-Éric lui revenait, le teint éclatant, les yeux humides, un peu les tempes bleuies par le sang plus vif battant les veines, on se promenait le long des terrasses en causant chevaux anglais ou poèmes inédits très correctement. Ah ! ce regard mouillé d’une onde, qui le lui avait volé un moment tout entier ? Ce regard ironique et cependant si câlin ! Comment faire pour ne pas lui poser une de ces questions folles avouant tout un nouvel état d’âme ? Jaloux de qui et de quoi ? On n’est pas jaloux de ses domestiques ! On n’est pas jaloux d’une eau froide !… Et, de bonne foi, Reutler se disait qu’il ne fallait plus supporter l’enfantillage des bracelets d’or. Là-bas, ses gens devaient s’étonner de voir des bijoux à ses bras nus. Toutes ses mièvreries le tyrannisaient, lui, le tyran, d’une manière abominable. Il avait cédé pour demeurer d’apparence indifférent, mais il finirait par les lui réclamer, les lui arracher, d’un mouvement involontaire. Non ! Non ! Pas cela ! Ces mystérieux anneaux d’une chaîne féroce, il les avait forgés lui-même, et sa belle statue d’Adonis ne pouvait pas aller là-bas si complètement dépouillée de son amour. D’ailleurs, lui, le maître, ignorait l’esclavage et ses soupçons seraient trouvés ridicules.

Au déjeuner, le matin de ce jour calme, on avait fait des projets pour l’hiver. L’Impossible, ce poème interminable, s’annonçait, prétendait le jeune homme, comme une œuvre géniale. Beaucoup moins modeste que jadis, l’auteur se découvrait du génie maintenant, chaque fois qu’il écrivait une ligne. Après les chasses, chez les de Preuille