Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/32

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ler, le taciturne Reutler, désireux de fournir quelques distractions mondaines à un jeune frère hors de pages, s’était laissé piloter, sous prétexte d’un article concernant les fouilles de Memphis, mais il maintenait ses distances, car les manières félines de Geneviève le dégoûtaient profondément. La comtesse, de son côté, qui publiait des poésies printanières au milieu des citations archéologiques de de Crossac, ne lui pardonnait pas ses oublis d’assidu lecteur de la revue. Ce grand. Monsieur froid, vivant à l’écart des odes myosotico-patriotiques, l’exaspérait, tout en l’intrigant, elle, l’intrigue faite femme. Il ne lui parlait guère de revendications sentimentales, et elle devinait que la seule revanche qu’il aspirât à prendre était de se tirer, au plus tôt, de ce guépier intellectuel. Du reste, sans qu’ils se le fussent avoué, ils couvaient tous les deux leur drame, et, sans jamais s’être heurtés ostensiblement, ils se méprisaient l’un l’autre, quoique pour de tout différents motifs.

Ce soir-là, Reutler, pénétrant chez Geneviève, eut l’intuition que leur drame allait se dénouer.

Madame de Crossac, vêtue d’un peplum blanc serti d’une grecque de turquoises, très en beauté, préparait ses invités à l’audition d’une œuvre inédite. Ses doux yeux gardaient une singulière humidité, traces de pleurs ou joie de vivre, et son bras superbe se posait, familièrement, sur les épaules de ses plus vieux spectateurs, en tressaillant, par instant, d’un nerveux repliement de couleuvre. Elle faisait sa presse d’avance, assurant que l’auteur n’en était pas à son coup d’essai, bien qu’il désirât conserver l’anonymat, sa situation de per-