Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/346

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depuis des semaines par Reutler — l’aîné ne caressait même plus les chiens — tirait éperdument sur sa chaîne en bâillant de joie. Paul, la mine préoccupée, le détacha.

— Toi, mon cher toutou, tu vas me servir à relever les brisées. Il s’agit de savoir où nous en sommes avec ton estimable maître que j’ai un peu perdu de vue.

Le sloughi ouvrit une gueule d’hydre et sa langue rose jaillit comme une flamme.

Paul gagna les terrasses, le tenant au collier.

— Tout beau ! j’ai mes nerfs aujourd’hui ! Nous allons nous amuser ! Tu aimes le paon ? je vais t’en offrir un ! Chassons le prince Mes-Yeux !

Ils le trouvèrent à l’extrémité de la troisième terrasse. L’oiseau, dès qu’il aperçut Paul, balaya les feuilles mortes de son manteau de cour, et bondit toutes ses plumes hérissées.

— Pille ! souffla Paul lâchant le chien.

Ce fut une lutte épouvantable et charmante. Le paon, trop lourd pour voler, rasa le sol, échappa dix fois, revint dix fois, le bec ouvert, dans une superbe vaillance de coq. Rampant sur l’herbe, les deux bêtes souples, velours contre velours, ne faisaient aucun bruit. Le sloughi déchira le manteau de cour, happa une aile et il y eut, seulement, un léger froissement soyeux. Alors le paon transperça une oreille sans daigner se retourner et ils virevoltèrent follement ne songeant plus qu’à s’écharper.

Paul debout, près d’une urne de marbre, les regardait, l’œil fixe, comptant les coups de becs et les coups de dents.