Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/387

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son cristal couleur d’ambre. Le vent de la nuit s’engouffrait, activait les foyers, jetait les flammes sur les talons du damné. La meute retrouvait la piste. Reutler arracha le vêtement qui brûlait toujours le long de son épaule, se pencha.

— Elles me suivent, nous ne repasserons jamais.

Une sensation de vertige, plus atroce que les brûlures, lui coupa la respiration.

— Si Éric, là-haut, s’est tué, pris de désespoir, sans m’attendre !… Si je n’allais pas le retrouver ?

Au dernier palier, il vit luire de très tranquilles étoiles. Il constata qu’en bas les flammes s’arrêtaient pour dévorer Jorgon. Il arriva sous la trappe ; le verrou était mis selon ses volontés. Il entra…

Paul-Éric dormait, à moitié nu, dans la soierie japonaise fleurie de chimères, il dormait, ayant enfin dépouillé tous ses masques virils, et sa joue se posait sur le bracelet d’or de son bras gauche comme la joue d’une jolie femme.

Reutler ferma la trappe.

— Dieu existe, murmura-t-il en contemplant ce paisible tableau.

Paul-Éric, avant de s’endormir, avait voilé le dôme d’un store, ne tenant pas à être réveillé de trop bonne heure. Autour de lui naissait une lumière tendre, rosée, une aube qui rougissait : bientôt du soleil ! Le parfum d’ambre dont se saturait l’idole emplissait cette cellule de savant, toute bouleversée. Les bibliothèques répandaient à flots leurs livres ; sur le bord du fourneau d’alchimiste brillait une coupe de champagne, encore mousseuse ; une grande page de chiffres, les calculs météorologiques de Reutler, s’étalait au milieu