Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/59

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sière de la rue pour ses parchemins, ses menus outils de laboratoire, peut-être aussi la lumière du soleil pour ses propres pensées.

Paul le trouva assis, lisant devant un immense bureau où s’empilaient journaux et revues scientifiques, vêtu de son éternelle robe de chambre de bure, tigrée de taches multicolores provenant d’éclaboussures de tous les acides connus. Près de lui reposait, comme un gros chat endormi, une large toque de fourrure ; quand ses névralgies le relançaient, il s’en couvrait la tête frileusement jusqu’aux oreilles, s’enlaidissait. Reutler habitait le second étage de leur hôtel, ayant abandonné le premier au frère mondain qui n’aimait pas les taches d’acides sur les tentures ; mais, en philosophe respectueux de tous les goûts, il avait distrait du luxe effréné d’en bas, un canapé pour le cas probable où le frère mondain refuserait de s’asseoir dans les opérations chimiques. Ce canapé, un pompadour, gracieusement convulsé sous des coussins de brocart d’un rose éteint, faisait, en face du bureau noir, le plus bizarre effet. Au-dessus du bureau, derrière le fauteuil de Reutler, se dressait, digne pendant à l’élégance du meuble pompadour, le portrait d’une jeune femme, en robes bouffantes datant d’un bal du troisième empire, qui ressemblait d’une façon merveilleuse au plus français des de Fertzen.

Paul dit un bonjour sec.

— Tu es bien, ce matin ? questionna doucement le liseur en marquant sa page et en fermant son livre.

— Tout à fait bien. Je suis venu pour ce que tu sais.