Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Bon ! Bon ! Cela ne presse pas. Nous avons… la vie ! Et la petite femme ?

Paul, dédaigneux, haussa les épaules.

— Du picrate, mon cher, elle m’adore ! Vierge ou grue, c’est décidément la même chanson !

Il tourna un instant dans la pièce, essayant de ne rien déranger des piles de livres ou des fioles, atterré, au fond, par le sang-froid de son frère ; il finit par se jeter sur le canapé, tassa les coussins d’un mouvement rageur et s’accota, les yeux fixes.

— Telle est vraiment ta volonté ? murmura Reutler.

— Ah ! Oui ! Oui ! Je veux tout savoir… je le veux.

— Ne crains-tu pas qu’à remuer ces choses du passé, il se dégage une odeur de pourriture qui empoisonne ta belle insouciance ?

— Je ne comprends même pas, fit Paul, les dents serrées, que tu te soies permis d’attendre ! Tu m’as raconté que nous, portions un nom d’origine autrichienne, qu’on nous avait baptisés, moi Éric, toi Reutler, en souvenir de je ne sais plus quel grand ancêtre ; que nous étions nés tous les deux en Franche-Comté, à Rocheuse… tu m’as menti. Or, Reutler mentant, c’est pour moi un tel effondrement, une telle déception, que tu peux bien y ajouter les pires tortures morales, je ne crains plus rien.

Un sourire amer s’extravasa dans le visage blême de Reutler ; il eut un geste résigné et ouvrit un des tiroirs de son bureau. Il en tira des papiers jaunis, constellés de larges timbres, et les tendit à Paul qui se leva brusquement. Ses doigts,