Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/65

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— Donne-moi donc un conseil, un pauvre conseil, Reutler ! Tu es dur pour elle et pour moi ! cria Éric de Fertzen, se tordant les bras dans un de ces accès de sensibilité qui le laissaient quelquefois comme expirant sur la place.

— Non, répondit Reutler, je crois à la théorie de la lumière avant l’œil : l’homme, aveugle-né, la tête instinctivement tournée vers la lumière, parce qu’elle est chaude et qu’il est nu, demeure inerte ; mais le rayon, fût-ce au bout d’un siècle d’attente, le perce enfin de sa flèche brûlante, et il voit, et il marche… je laisserai faire le temps. Si ce n’est toi, ce seront tes fils qui verront…

Paul, sanglotant, lui montra les poings, s’écria, désespéré :

— Reutler, Reutler, méchant homme et mauvais compagnon, tu n’es plus mon frère, tu ne m’as jamais aimé ! Oui, c’est bien le mystère dont tu t’enveloppes, c’est pourquoi quand je songe à toi je me sens effrayé. Tu tiens à mon respect et tu dissimules ! Tu tiens à rester le chef, le dominateur, mais tu ne m’aimes pas… Je te gêne, je ne suis plus, pour toi, qu’une opération chimique avortée, et, peut-être, me hais-tu, car nous sommes destinés à nous haïr, c’est d’ailleurs naturel.

Reutler éclata d’un rire terrible.

— Je te hais, moi ? Ceci est le comble ! Ceci manquait à mon enfer. En vérité, j’ai prouvé ma haine depuis que tu es au monde ! (Ses prunelles troubles fulgurèrent, tout à coup dans l’eau noire de son regard imprécis, et de cette eau noire, subitement éclairée, elles jaillirent comme deux pistils rougeoyants d’une corolle ténébreuse. Sa voix