Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/73

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mépris, Éric, Jorgon est une créature surnaturelle, (interrompit Reutler avec son sourire inexplicable). Jorgon a aimé d’amour la princesse byzantine et moi seul au monde je l’ai pu deviner. Va ! Va ! Don Juan, tu seras toujours dépassé, dans tes hardiesses cérébrales, par les bons et les chastes ! Il n’est pas de dévouement merveilleux qu’on ne puisse bien étayer sur une mauvaise passion. La vertu n’est que l’art de dissimuler son âme. Un mot l’explique encore mieux : elle n’est que du silence. La suprême vertu, c’est la mort.

Un jour, il y eut une scène de famille à Rocheuse. Les victoires remportées par nous… par la Prusse, je veux dire, illuminaient ces pauvres cerveaux faibles de leur reflet d’incendie : « Si ton mari entrait ici, cria la belle-mère, je le massacrerais de mes propres mains ! » Et le sous-préfet approuva. Je bondis, me mordant les lèvres pour ne pas leur hurler des injures… j’étais jeune !… « Toi, le louveteau à la porte ! » dit cet homme qui était mon oncle, mon tuteur en l’absence de mon père ! Mais avant qu’on m’eût touché, la princesse byzantine s’était révoltée, rappelée au véritable sentiment de la femelle : l’amour du mâle en la défense du petit.

C’est à eux qu’elle montra la porte. Se souvenant qu’elle était chez elle à Rocheuse, une propriété représentant sa dot, elle en chassa nos parents. Restée seule, elle put pleurer seule et leur cacher aussi — les femmes ont de ces pudeurs bizarres — qu’elle allait mettre bas un nouveau louveteau, le gage d’un adieu trop prolongé fait, en Souabe, à l’ennemi légitime. (Reutler, ému, s’efforçait de