Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/74

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ricaner.) Et l’armée prussienne (reprit-il d’une voix plus dure), avançait lentement, comme la marée montante, avec, de loin en loin, des sifflements de lourd reptile qui fauche des herbes sur son passage. Ma mère logeait dans le belvédère de Rocheuse, l’endroit dont nous avons fait notre observatoire. À cent pieds au-dessus des forêts environnantes, dans une chambre très froide malgré le feu violent qu’y entretenait Jorgon, son unique domestique, elle attendait… quoi ? Mélusine de la légende guettant le retour du guerrier et n’osant ni le bénir ni le maudire du haut de ce donjon moderne ! Notre maison avait l’air posée sur un hérissement de fagots, tant les bois, cet hiver-là, étaient dépouillés. Ce silence régnait perpétuellement à travers les airs blanchis de neige, et sur la cime de ce bûcher, tout préparé pour la torche, une femme pleurait. Aucune communication de la vie publique. Mon précepteur était parti, indigné, avec nos estimables parents. J’errais, le long des corridors déserts, demandant à Dieu — j’y croyais alors — ce que nous lui avions fait pour qu’il nous réprouvât ainsi. Et elle l’attendait, vainqueur, vaincu, blessé, bien portant, elle l’attendait, il devait venir, cela seul était nécessaire, désormais, à ses pauvres yeux ravagés par les larmes. Ce ne fut pas notre père qui vint, ce fut toi, fleur de sang éclose du plus horrible dualisme humain qui puisse exister ! (Un frisson nerveux convulsa la bouche de Reutler et il fut obligé de s’arrêter. Éric, renversé dans les coussins du canapé pompadour, envoya un chaleureux baiser au beau portrait qui était sa mère.) Je crois,