Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/80

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préfecture. Ce qu’ils t’apprirent ? tu dois le savoir mieux que moi !… Mais, lorsqu’à vingt et un an, l’oncle mort, je m’échappai du séminaire où je m’obstinais à ne pas vouloir expier ma criminelle origine, je me retrouvai en présence d’un petit monstre froidement cruel, qui tuait les oiseaux en leur enfonçant des épingles dans le corps, fouettait les chiens jusqu’à leur briser l’échine et poursuivait les poules pour les plumer vivantes… Te souviens-tu, Éric ? Tu étais d’ailleurs irrésistiblement séduisant, jouant de tes yeux langoureux comme une demoiselle du trottoir et mentant… oh ! mentant d’une voix de soprano tout à fait exquise !… Je fus séduit…

Paul était venu s’agenouiller devant son frère.

— Avoue, balbutia-t-il tendrement, qu’il y avait de quoi ! J’étais si malheureux ! Ne fais pas l’ogre ! Je vais achever ton récit : tu me passas tous mes caprices et tu fus tellement bon, au retour du long voyage que tu dus accomplir pour recouvrer la fortune de notre père, tu fus tellement bon, que je me suis corrigé ; je ne mens plus et je ne toucherais pas à un chien, même avec une fleur !

Reutler ne put s’empêcher de rire, de son rire muet.

Spontanément très sérieux, un peu théâtral, Paul se releva et, serrant les mains puissantes de son aîné, il dit :

— Mon père, mon frère et mon ami chéri, est-ce ta volonté que nous retournions tous les deux à Rocheuse pour… y réfléchir ?

Reutler frémit de la tête aux pieds.

— Non, répondit-il d’un ton rauque, ne me tente