Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/84

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n’apparaissaient plus qu’en écueils affleurant un torrent. Des bibelots surnageaient : statuettes polychromes aux petits gestes fous, vases de cuivre persan, objets de toilette ou ustensiles de fumeur, avec tout le désordre d’un bazar oriental entraîné par une inondation. On devinait que chaque Ève nouvelle avait apporté là un échantillon de sa fantaisie, et l’ensemble de ces diverses perversités féminines ne constituait pas précisément une œuvre très artistique. Le lit, phénoménal divan qui bavait l’écume de ses draps ourlés de dentelles presque au ras du tapis, se recouvrait d’une avalanche momentanée de velours et de peluches, grossissant toujours, accrochant déjà, vers le plafond, les croissants de la veilleuse turque, dont les cabochons luisaient sournoisement comme des regards criminels.

Jane Monvel, la dernière Ève de l’Éden, vivait depuis trois mois dans ce charmant capharnaüm, heureuse mais pas gaie. Elle ne croyait pas à la durée de son bonheur. Toute ravie et tout épeurée par les multiples éblouissements de sa somptueuse prison, elle s’y était blottie, fermant les yeux, perdant son rire espiègle, en pauvre écureuil étourdi qui finit par trouver que sa cage tourne trop vite. Son existence de créature-jouet, passée chez une bienfaitrice, lui avait appris qu’il ne faut point compter sur l’affection des maîtres capricieux, et, souvent, dans ce doux nid, ouaté, calfeutré, les jeunes gens se disputaient durement pour peu de chose. Paul-Éric de Fertzen cherchait à oublier certaines secrètes humiliations de son amour-propre en humiliant l’amour-propre de sa compagne.