Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/89

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baisa et la mordit, avec de singuliers transports.

— Paul ! Qu’est-ce que tu fais ? cria Jane épouvantée.

— Laisse !… Tu ne comprends rien à la volupté, toi ! Cela, vois-tu, c’est de la beauté artificielle, mais c’est réellement, suprêmement beau. Toute beauté naturelle a une tare. Il n’y a pas de teint de femme, d’épiderme de gorge ou d’épaule qui puissent me donner une pareille sensation au toucher. C’est un bien petit absolu, c’en est un, cependant. Et cela crie, entends-tu, cela proteste et s’affole comme une créature douée d’âme. Vraiment, cette étoffe a peur de mes caresses. Elle se sait belle et ne veut pas qu’on la pollue. Est-ce étrange que, vous autres femmes, vous aimiez cela pour vous en parer, alors que nous, nous aimons peut-être cela sur vous, sans vous voir… De l’étoffe ?… Regarde ! deux caresses l’ont faite personne vivante et frémissante. Je l’ai si bien emplie de ma volonté que la reine est entrée dans cette jupe de reine !

En deux gestes savants, à la fois gestes de sculpteur et gestes d’amoureux, Paul avait creusé et arrondi la mollesse du damas, le serrant au milieu comme une taille et le déroulant de chaque côté comme une robe longue à plis bouffants…

— Paul, supplia Jane Monvel, finis donc !

— Chère illusion d’une illusion, murmura Paul ne l’écoutant plus et se berçant dans la soie, forme vague de l’impératrice qui est mieux que l’impératrice, apparence de femme mille fois meilleure que la femme, très pure courtisane dont les froids enlacements donnent le vertige à la courtisane,