Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/88

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père, et l’orpheline pensait que ce cadeau, sacrilège un peu, lui attacherait davantage le jeune inconstant.

— Si nous choisissions ce velours fleuri de glaïeuls ? proposa Paul, voulant opérer une diversion à tout prix. Une robe droite plissée, des manches en voile, brodé de gemmes ?…

Jane s’appuyait, rêveuse, au monceau d’étoffe jeté sur le lit. Elle hocha la tête, indifférente.

— Ou, poursuivit Paul s’animant, cette moire d’argent à ramages de perles, pluie de verglas sur la glace ? Elle est pourtant moins extraordinaire que le damas de Lyon avec ces pudiques perce-neige et sa teinte rosée d’Alpe effleurée par le soleil levant. Qu’en penses-tu ? Oh ! ce damas épais comme un cuir de Cordoue et souple comme la peau d’un ventre de fille ! Rien n’est plus merveilleux !

Rampant pour atteindre le damas qui se drapait, en hauteur sur un fauteuil, comme vraiment une Alpe inaccessible et radieuse, Paul le tira du bas à pleine poigne, le fit choir, et l’étoffe, se cassant, s’effondrant, eut un bruit doux, un jurement de bête frêle qu’on étrangle, se tordit, sous les nerveuses mains du jeune homme, en chose vivante qui se plaindrait.

— Ah ! conviens, Jane, que cela est d’une splendeur inouïe !

Paul, à genoux sur l’étoffe qu’il froissait, sans songer qu’on devait en faire une robe pour sa maîtresse, la contemplait, s’abîmant dans sa blancheur de roses blanches où se diluait un insaisissable reflet de chair. Il porta cette soierie à ses lèvres, la