Page:Rachilde - Refaire l’amour, 1928.djvu/106

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en temps, ce qui n’arrive tout de même pas à me couper l’appétit.

Ces dames ont des théories subversives, discutent sur la pudeur envisagée comme suprême condiment de l’amour. Le canapé gagne de plus en plus ! Carlos Véra, tout en faisant des signes sévères à ses domestiques pour aiguiller le service des vins, tapote dans le dos de sa voisine, la pauvre petite Sorgah, et l’idole vivante me regarde fixement de ses yeux d’onyx en souriant avec l’effort d’une danseuse fatiguée. Sorgah est toujours amoureuse… mais je n’y peux rien. Méritant mieux, elle n’eut guère que mon caprice pendant que l’Autre, l’idole peinte, accaparait tout l’amour. Ainsi va le monde, au moins celui de nos sens.

— Pourquoi n’auriez-vous pas le droit, mesdames, déclare le docteur Boreuil, de vous exprimer très naturellement au sujet de vos goûts ? La pudeur, c’est le produit combiné de la cruauté du beaucoup trop avec la crainte du pas assez, une crainte, en somme, fort légitime.

Boreuil conserve un grand sérieux en disant ça, comme le professeur qui s’adresse à des élèves dont il faut flatter la faiblesse en tous les thèmes. Il adore conter des histoires un peu salées, sans dépasser la mesure, et surtout mystifier son auditoire.