Page:Rachilde - Refaire l’amour, 1928.djvu/157

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l’état d’âme de cette enfant et surtout… ce que j’ignore encore moi-même ? Je le vois sauter, d’un bond, de la scène où il trône, entre des pancartes barbouillées de phrases énormes : « Les insultes ne sont pas des arguments. » « On est prié de ne pas tuer l’orateur avant la fin de son discours. » « Ne jetez pas de croûtes de pain aux animaux de la ménagerie, car le pain augmente tous les jours ! » Il fond sur Bouchette, tel l’oiseau de proie sur une tremblante bestiole et il l’enlève à bout de bras. Je n’ai même pas le temps d’intervenir. Bouchette, la pauvre Bouchette, hypnotisée par ce terrible garçon, va faire ses débuts, elle monte sur une scène… autant dire qu’il l’y porte, et j’assiste à un coup de théâtre que ni moi, ni Bouchette, ni Néo Soldès n’avait pu préparer, un vrai coup de théâtre, au moins pour nous trois.

Bouchette enlève fiévreusement son manteau, sa petite étole de lapin, secoue ses chevaux qui s’écroulent et… je vois apparaître la Jeunesse de mon album, la jolie fille en fourreau de satin blanc, si intime avec sa chair, ce fourreau, qu’en dépit de la décence montante de la robe, elle semble nue.

— Voilà ! fait Bouchette d’un accent désespéré qui retentit dans la stupeur d’un instant de silence. C’est moi la Jeunesse et il