Page:Rachilde - Refaire l’amour, 1928.djvu/22

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reste.

Nous traversons le carrefour, entrons dans la rue de Vaugirard, la bouche et moi. Cette jeune femme marche vite. Elle ignore le suiveur ou ne s’en inquiète pas. De temps à autre, elle lève la tête pour regarder les numéros des maisons ou les enseignes. Elle cherche quelque chose, un magasin.

En marchant derrière elle, je l’examine attentivement dans les glaces des devantures. Elle a de vingt à vingt-trois ans. Pas de hanches, pas de poitrine, selon la formule de notre époque garçonnière. Tout d’une pièce, elle va droit et ce n’est pas la démarche provocante des filles ni celle prétentieuse des bourgeoises, encore moins l’allure lassée des femmes du monde qui ont gardé le pli de la voiture dans les jambes, font des zigzags sur les trottoirs et ne savent pas au juste où elles sont. Ça, c’est une femme d’une espèce que je ne connais pas. Et comme c’est donc joli une femme qu’on ne connaît pas !

Elle a le teint clair, d’un blanc rosé, un brin de poudre, à peine du pollen sur un fruit, et, sous la peau, le sang pousse, par ondée, une teinte plus vive. On dirait que deux cœurs lui battent dans les joues, activant cette lumière des pommettes que conservent les êtres encore près de l’enfance. Bien habillée ? Non. Mal mise ? Non plus. Pas riche