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LÉANDRE.

Gardez le soupirail. Va vite, je le garde.


Scène XII.

LA COMTESSE, LÉANDRE.
LA COMTESSE.

Misérable ! il s’en va lui prévenir l’esprit.

(par le soupirail.)
Monsieur, ne croyez rien de tout ce qu’il vous dit :

Il n’a point de témoins ; c’est un menteur.

LÉANDRE.

Il n’a point de témoins ; c’est un menteur. Madame,
Que leur contez-vous là ? Peut-être ils rendent l’âme.

LA COMTESSE.

Il lui fera, monsieur, croire ce qu’il voudra.
Souffrez que j’entre.

LÉANDRE.

Souffrez que j’entre. Oh non ! personne n’entrera.

LA COMTESSE.

Je le vois bien, monsieur, le vin muscat opère
Aussi bien sur le fils que sur l’esprit du père.
Patience, je vais protester comme il faut
Contre monsieur le juge et contre le quartaut.

LÉANDRE.

Allez donc, et cessez de nous rompre la tête.
Que de fous ! je ne fus jamais à telle fête.


Scène XIII.

DANDIN, LÉANDRE, L’INTIMÉ.
L’INTIMÉ.

Monsieur, où courez-vous ? C’est vous mettre en danger.
Et vous boitez tout bas.

DANDIN.

Et vous boitez tout bas. Je veux aller juger.

LÉANDRE.

Comment, mon père ! Allons, permettez qu’on vous panse :
Vite, un chirurgien.

DANDIN.

Vite, un chirurgien. Qu’il vienne à l’audience.

LÉANDRE.

Eh ! mon père ! arrêtez…

DANDIN.

Eh ! mon père ! arrêtez… Oh ! je vois ce que c’est.
Tu prétends faire ici de moi ce qu’il te plaît ;
Tu ne gardes pour moi respect ni complaisance :
Je ne puis prononcer une seule sentence.
Achève, prends ce sac, prends vite.

LÉANDRE.

Achève, prends ce sac, prends vite. Hé ! doucement,
Mon père. Il faut trouver quelque accommodement.
Si pour vous, sans juger, la vie est un supplice,
Si vous êtes pressé de rendre la justice,
Il ne faut point sortir pour cela de chez vous :
Exercez le talent, et jugez parmi nous.

DANDIN.

Ne raillons point ici de la magistrature :
Vois-tu ! je ne veux point être juge en peinture.

LÉANDRE.

Vous serez, au contraire, un juge sans appel,
Et juge du civil comme du criminel.
Vous pourrez tous les jours tenir deux audiences :
Tout vous sera chez vous matière de sentences.
Un valet manque-t-il de rendre un verre net,
Condamnez-le à l’amende, ou, s’il le casse, au fouet.

DANDIN.

C’est quelque chose. Encor passe quand on raisonne.
Et mes vacations, qui les payera ? Personne ?

LÉANDRE.

Leurs gages vous tiendront lieu de nantissement.

DANDIN.

Il parle, ce me semble, assez pertinemment.

LÉANDRE.

Contre un de vos voisins…


Scène XIV.

DANDIN, LÉANDRE, L’INTIMÉ, PETIT-JEAN.
PETIT-JEAN.

Contre un de vos voisins… Arrête ! arrête ! attrape !

LÉANDRE.

Ah ! c’est mon prisonnier, sans doute, qui s’échappe !

L’INTIMÉ.

Non, non, ne craignez rien.

PETIT-JEAN.

Non, non, ne craignez rien. Tout est perdu… Citron…
Votre chien… vient là-bas de manger un chapon.
Rien n’est sûr devant lui : ce qu’il trouve il l’emporte.

LÉANDRE.

Bon; voilà pour mon père une cause. Main-forte !
Qu’on se mette après lui. Courez tous.

DANDIN.

Qu’on se mette après lui. Courez tous. Point de bruit,
Tout doux. Un amené sans scandale suffit.

LÉANDRE.

Çà, mon père, il faut faire un exemple authentique.
Jugez sévèrement ce voleur domestique.

DANDIN.

Mais je veux faire au moins la chose avec éclat.
Il faut de part et d’autre avoir un avocat.
Nous n’en avons pas un.

LÉANDRE.

Nous n’en avons pas un. Eh bien ! il en faut faire.
Voilà votre portier et votre secrétaire :