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Vous en ferez, je crois, d’excellents avocats ;
Ils sont fort ignorants.

L’INTIMÉ.

Ils sont fort ignorants. Non pas, monsieur, non pas.
J’endormirai monsieur tout aussi bien qu’un autre.

PETIT-JEAN.

Pour moi, je ne sais rien ; n’attendez rien du nôtre.

LÉANDRE.

C’est ta première cause, et l’on te la fera.

PETIT-JEAN.

Mais je ne sais pas lire.

LÉANDRE.

Mais je ne sais pas lire. Eh ! l’on te soufflera.

DANDIN.

Allons nous préparer. Çà, messieurs, point d’intrigue.
Fermons l’œil aux présents, et l’oreille à la brigue.
Vous, maître Petit-Jean, serez le demandeur ;
Vous, maître l’Intimé, soyez le défendeur.








Scène première.

LÉANDRE, CHICANEAU, LE SOUFFLEUR.
CHICANEAU.

Oui, monsieur, c’est ainsi qu’ils ont conduit l’affaire.
L’huissier m’est inconnu, comme le commissaire.
Je ne mens pas d’un mot.

LÉANDRE.

Je ne mens pas d’un mot. Oui, je crois tout cela ;
Mais si vous m’en croyez, vous les laisserez là.
En vain vous prétendez les pousser l’un et l’autre,
Vous troublerez bien moins leur repos que le vôtre.
Les trois quarts de vos biens sont déjà dépensés
À faire enfler des sacs l’un sur l’autre entassés ;
Et dans une poursuite à vous-même contraire…

CHICANEAU.

Vraiment vous me donnez un conseil salutaire,
Et devant qu’il soit peu je veux en profiter :
Mais je vous prie au moins de bien solliciter :
Puisque monsieur Dandin va donner audience,
Je vais faire venir ma fille en diligence.
On peut l’interroger, elle est de bonne foi ;
Et même elle saura mieux répondre que moi.

LÉANDRE.

Allez et revenez, l’on vous fera justice.

LE SOUFFLEUR.

Quel homme !


Scène II.

LÉANDRE, LE SOUFFLEUR.
LÉANDRE.

Quel homme ! Je me sers d’un étrange artifice ;
Mais mon père est un homme à se désespérer,
Et d’une cause en l’air il le faut bien leurrer.
D’ailleurs j’ai mon dessein, et je veux qu’il condamne
Ce fou qui réduit tout au pied de la chicane.
Mais voici tous nos gens qui marchent sur nos pas.


Scène III.

DANDIN, LÉANDRE, L’INTIMÉ et PETIT-JEAN, en robe ; LE SOUFFLEUR.
DANDIN.

Çà, qu’êtes-vous ici ?

LÉANDRE.

Çà, qu’êtes-vous ici ? Ce sont les avocats.

DANDIN.

Vous ?

LE SOUFFLEUR.

Vous ? Je viens secourir leur mémoire troublée.

DANDIN.

Je vous entends. Et vous ?

LÉANDRE.

Je vous entends. Et vous ? Moi, je suis l’assemblée.

DANDIN.

Commencez donc.

LE SOUFFLEUR.

Commencez donc. Messieurs.

PETIT-JEAN.

Commencez donc. Messieurs… Oh ! prenez-le plus bas
Si vous soufflez si haut, l’on ne m’entendra pas.
Messieurs…

DANDIN.

Messieurs… Couvrez-vous.

PETIT-JEAN.

Messieurs… Couvrez-vous. Oh ! mes…

DANDIN.

Messieurs… Couvrez-vous. Oh ! mes… Couvrez-vous, vous dis-je.

PETIT-JEAN.

Oh ! monsieur, je sais bien à quoi l’honneur m’oblige.

DANDIN.

Ne te couvre donc pas.

PETIT-JEAN, se couvrant.
(au souffleur.)
Ne te couvre donc pas. Messieurs… Vous, doucement ;

Ce que je sais le mieux, c’est mon commencement.
Messieurs, quand je regarde avec exactitude
L’inconstance du monde et sa vicissitude ;
Lorsque je vois, parmi tant d’hommes différents,