Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/134

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PETIT-JEAN.

Faites-les donc venir. Je les ai dans ma poche.
Tenez : voilà la tête et les pieds du chapon ;
Voyez-les, et jugez.

L’INTIMÉ.

Voyez-les, et jugez. Je les récuse.

DANDIN.

Voyez-les, et jugez. Je les récuse. Bon !
Pourquoi les récuser ?

L’INTIMÉ.

Pourquoi les récuser ? Monsieur, ils sont du Maine.

DANDIN.

Il est vrai que du Mans il en vient par douzaine…

L’INTIMÉ.

Messieurs…

DANDIN.

Messieurs… Serez-vous long, avocat ? dites-moi.

L’INTIMÉ.

Je ne réponds de rien.

DANDIN.

Je ne réponds de rien. Il est de bonne foi.

L’INTIMÉ, d’un ton finissant en fausset.

Messieurs, tout ce qui peut étonner un coupable ;
Tout ce que les mortels ont de plus redoutable,
Semble s’être assemblé contre nous par hasard,
Je veux dire la brigue et l’éloquence. Car
D’un côté le crédit du défunt m’épouvante,
Et de l’autre côté, l’éloquence éclatante
De maître Petit-Jean m’éblouit.

DANDIN.

De maître Petit-Jean m’éblouit. Avocat,
De votre ton vous-même adoucissez l’éclat.

L’INTIMÉ.
(d’un ton ordinaire.) (du beau ton.)
Oui-da, j’en ai plusieurs… Mais quelque défiance

Que nous doive donner la susdite éloquence
Et le susdit crédit, ce néanmoins, messieurs,
L’ancre de vos bontés nous rassure. D’ailleurs
Devant le grand Dandin l’innocence est hardie ;
Oui, devant ce Caton de basse Normandie,
Ce soleil d’équité qui n’est jamais terni :
Victrix causa diis placuit, sed victa Catoni.

DANDIN.

Vraiment, il plaide bien.

L’INTIMÉ.

Vraiment, il plaide bien. Sans craindre aucune chose
Je prends donc la parole, et je viens à ma cause.
Aristote, primo, peri Politicon,
Dit fort bien…

DANDIN.

Dit fort bien… Avocat, il s’agit d’un chapon,
Et non point d’Aristote et de sa Politique.

L’INTIMÉ.

Oui ; mais l’autorité du Péripatétique
Prouverait que le bien et le mal…

DANDIN.

Prouverait que le bien et le mal… Je prétends
Qu’Aristote n’a point d’autorité céans.
Au fait.

L’INTIMÉ.

Au fait. Pausanias, en ses Corinthiaques…

DANDIN.

Au fait.

L’INTIMÉ.

Au fait. Rebuffe…

DANDIN.

Au fait. Rebuffe… Au fait, vous dis-je.

L’INTIMÉ.

Au fait. Rebuffe… Au fait, vous dis-je. Le grand Jacques…

DANDIN.

Au fait, au fait, au fait.

L’INTIMÉ.

Au fait, au fait, au fait. Harmenopul, in Prompt…

DANDIN.

Oh ! je te vais juger.

L’INTIMÉ.

Oh ! je te vais juger. Oh ! vous êtes si prompt !

(vite)
Voici le fait. Un chien vient dans une cuisine ;

Il y trouve un chapon, lequel a bonne mine.
Or celui pour lequel je parle est affamé,
Celui contre lequel je parle autem plumé ;
Et celui pour lequel je suis prend en cachette
Celui contre lequel je parle. L’on décrète :
On le prend. Avocat pour et contre appelé ;
Jour pris. Je dois parler, je parle, j’ai parlé.

DANDIN.

Ta, ta, ta, ta. Voilà bien instruire une affaire !
Il dit fort posément ce dont on n’a que faire,
Et court le grand galop quand il est à son fait.

L’INTIMÉ.

Mais le premier, monsieur, c’est le beau.

DANDIN.

Mais le premier, monsieur, c’est le beau. C’est le laid.
A-t-on jamais plaidé d’une telle méthode ?
Mais qu’en dit l’assemblée ?

LÉANDRE.

Mais qu’en dit l’assemblée ? Il est fort à la mode.

L’INTIMÉ, d’un ton véhément.

Qu’arrive-t-il, messieurs ? On vient. Comment vient-on ?
On poursuit ma partie. On force une maison.
Quelle maison ? maison de notre propre juge !
On brise le cellier qui nous sert de refuge.
De vol, de brigandage on nous déclare auteurs.
On nous traîne, on nous livre à nos accusateurs,
À maître Petit-Jean, messieurs. Je vous atteste :
Qui ne sait que la loi Si quis canis, Digeste,
De Vi, paragrapho, messieurs… Caponibus,