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Et savez-vous pour moi tout ce que vous quittez ?

(se jetant aux pieds de Junie.)
Quand pourrai-je à vos pieds expier ce reproche ?
JUNIE.

Que faites-vous ? Hélas ! votre rival s’approche.


Scène VIII.

NÉRON, BRITANNICUS, JUNIE.
NÉRON.

Prince, continuez des transports si charmants.
Je conçois vos bontés par ses remercîments,
Madame ; à vos genoux je viens de le surprendre.
Mais il aurait aussi quelque grâce à me rendre ;
Ce lieu le favorise, et je vous y retiens
Pour lui faciliter de si doux entretiens.

BRITANNICUS.

Je puis mettre à ses pieds ma douleur ou ma joie
Partout où sa bonté consent que je la voie,
Et l’aspect de ces lieux où vous la retenez
N’a rien dont mes regards doivent être étonnés.

NÉRON.

Et que vous montrent-ils qui ne vous avertisse
Qu’il faut qu’on me respecte et que l’on m’obéisse ?

BRITANNICUS.

Ils ne nous ont pas vu l’un et l’autre élever,
Moi pour vous obéir, et vous pour me braver ;
Et ne s’attendaient pas, lorsqu’ils nous virent naître,
Qu’un jour Domitius me dût parler en maître.

NÉRON.

Ainsi par le destin nos vœux sont traversés ;
J’obéissais alors, et vous obéissez.
Si vous n’avez appris à vous laisser conduire,
Vous êtes jeune encore, et l’on peut vous instruire.

BRITANNICUS.

Et qui m’en instruira ?

NÉRON.

Et qui m’en instruira ? Tout l’empire à la fois,
Rome.

BRITANNICUS.

Rome. Rome met-elle au nombre de vos droits
Tout ce qu’a de cruel l’injustice et la force,
Les emprisonnements, le rapt et le divorce ?

NÉRON.

Rome ne porte point ses regards curieux
Jusque dans des secrets que je cache à ses yeux.
Imitez son respect.

BRITANNICUS.

Imitez son respect. On sait ce qu’elle en pense.

NÉRON.

Elle se tait du moins : imitez son silence.

BRITANNICUS.

Ainsi Néron commence à ne se plus forcer.

NÉRON.

Néron de vos discours commence à se lasser.

BRITANNICUS.

Chacun devait bénir le bonheur de son règne.

NÉRON.

Heureux ou malheureux, il suffit qu’on me craigne.

BRITANNICUS.

Je connais mal Junie, ou de tels sentiments
Ne mériteront pas ses applaudissements.

NÉRON.

Du moins, si je ne sais le secret de lui plaire,
Je sais l’art de punir un rival téméraire.

BRITANNICUS.

Pour moi, quelque péril qui me puisse accabler,
Sa seule inimitié peut me faire trembler.

NÉRON.

Souhaitez-la ; c’est tout ce que je puis vous dire.

BRITANNICUS.

Le bonheur de lui plaire est le seul où j’aspire.

NÉRON.

Elle vous l’a promis, vous lui plairez toujours.

BRITANNICUS.

Je ne sais pas du moins épier ses discours.
Je la laisse expliquer sur tout ce qui me touche,
Et ne me cache point pour lui fermer la bouche.

NÉRON.

Je vous entends. Eh bien ! gardes !

JUNIE.

Je vous entends. Eh bien ! gardes ! Que faites-vous ?
C’est votre frère. Hélas ! c’est un amant jaloux.
Seigneur, mille malheurs persécutent sa vie :
Ah ! son bonheur peut-il exciter votre envie ?
Souffrez que, de vos cœurs rapprochant les liens,
Je me cache à vos yeux, et me dérobe aux siens.
Ma fuite arrêtera vos discordes fatales ;
Seigneur, j’irai remplir le nombre des vestales.
Ne lui disputez plus mes vœux infortunés,
Souffrez que les dieux seuls en soient importunés.

NÉRON.

L’entreprise, madame, est étrange et soudaine.
Dans son appartement, gardes, qu’on la remène !
Gardez Britannicus dans celui de sa sœur.

BRITANNICUS.

C’est ainsi que Néron sait disputer un cœur !

JUNIE.

Prince, sans l’irriter, cédons à cet orage.

NÉRON.

Gardes, obéissez sans tarder davantage.


Scène IX.

NÉRON, BURRHUS.
BURRHUS.

Que vois-je ? Ô ciel !