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(à Phénice.)
Ne m’abandonne point dans l’état où je suis.

Hélas ! pour me tromper je fais ce que je puis.

ANTIOCHUS, ARSACE.
ANTIOCHUS.

Ne me trompé-je point ? l’ai-je bien entendue ?
Que je me garde, moi, de paraître à sa vue !
Je m’en garderai bien. Et ne partais-je pas,
Si Titus, malgré moi, n’eût arrêté mes pas ?
Sans doute il faut partir. Continuons, Arsace ;
Elle croit m’affliger : sa haine me fait grâce.
Tu me voyais tantôt inquiet, égaré ;
Je partais amoureux, jaloux, désespéré ;
Et maintenant, Arsace, après cette défense,
Je partirai peut-être avec indifférence.

ARSACE.

Moins que jamais, seigneur, il faut vous éloigner.

ANTIOCHUS.

Moi ! je demeurerai pour me voir dédaigner ?
Des froideurs de Titus je serai responsable ?
Je me verrai punir parce qu’il est coupable ?
Avec quelle injustice et quelle indignité
Elle doute à mes yeux de ma sincérité !
Titus l’aime, dit-elle, et moi je l’ai trahie.
L’ingrate ! m’accuser de cette perfidie !
Et dans quel temps encor ? dans le moment fatal
Que j’étale à ses yeux les pleurs de mon rival,
Que, pour la consoler, je le faisais paraître
Amoureux et constant, plus qu’il ne l’est peut-être.

ARSACE.

Et de quel soin, seigneur, vous allez vous troubler ?
Laissez à ce torrent le temps de s’écouler :
Dans huit jours, dans un mois, n’importe, il faut qu’il passe.
Demeurez seulement.

ANTIOCHUS.

Demeurez seulement. Non, je la quitte, Arsace.
Je sens qu’à sa douleur je pourrais compatir :
Ma gloire, mon repos, tout m’excite à partir.
Allons ; et de si loin évitons la cruelle,
Que de longtemps, Arsace, on ne nous parle d’elle.
Toutefois il nous reste encore assez de jour :
Je vais dans mon palais attendre ton retour.
Va voir si sa douleur ne l’a point trop saisie.
Cours ; et partons du moins assurés de sa vie.




ACTE QUATRIÈME.





Scène première.

BÉRÉNICE.

Phénice ne vient point ! moments trop rigoureux,
Que vous paraissez lents à mes rapides vœux !
Je m’agite, je cours, languissante, abattue ;
La force m’abandonne, et le repos me tue.
Phénice ne vient point ! ah ! que cette longueur
D’un présage funeste épouvante mon cœur !
Phénice n’aura point de réponse à me rendre :
Titus, l’ingrat Titus n’a point voulu l’entendre ;
Il fuit, il se dérobe à ma juste fureur.


Scène II.

BÉRÉNICE, PHÉNICE.
BÉRÉNICE.

Chère Phénice, eh bien ! as-tu vu l’empereur ?
Qu’a-t-il dit ? viendra-t-il ?

PHÉNICE.

Qu’a-t-il dit ? viendra-t-il ? Oui, je l’ai vu, madame,
Et j’ai peint à ses yeux le trouble de votre âme.
J’ai vu couler des pleurs qu’il voulait retenir.

BÉRÉNICE.

Vient-il ?

PHÉNICE.

Vient-il ? N’en doutez point, madame, il va venir.
Mais voulez-vous paraître en ce désordre extrême ?
Remettez-vous, madame, et rentrez en vous-même.
Laissez-moi relever ces voiles détachés,
Et ces cheveux épars dont vos yeux sont cachés.
Souffrez que de vos pleurs je répare l’outrage.

BÉRÉNICE.

Laisse, laisse, Phénice ; il verra son ouvrage.
Eh, que m’importe, hélas ! de ces vains ornements,
Si ma foi, si mes pleurs, si mes gémissements…
Mais que dis-je ? mes pleurs ! si ma perte certaine,
Si ma mort toute prête enfin ne le ramène,
Dis-moi, que produiront tes secours superflus,
Et tout ce faible éclat qui ne le touche plus ?

PHÉNICE.

Pourquoi lui faites-vous cet injuste reproche ?
J’entends du bruit, madame, et l’empereur s’approche.
Venez, fuyez la foule, et rentrons promptement :
Vous l’entretiendrez seul dans votre appartement.