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Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/22

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MÉMOIRES SUR LA VIE DE JEAN RACINE.

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dans des journaux. Brossette, qui la fit imprimer dans son édition de Boileau, quoiqu’elle n’eftt aucun rapport aux ouvrages de cet auteur, joignit en note que le Port-Royal « alarmé d’une lettre qui le menaçait d’un écrivain aussi a redoutable que Pascal , trouva le moyen d’apaiser et de » regagner le jeune Racine. » Brossette était fort mal ins- tmit. Le Port-Royal garda toujours le silence , et ne fit au- cune démarche pour la réconciliation. Mon père fit lui seul, dans la suite, toutes les démarches que je dirai. On n’ignore pas le repentir qu’il a témoigné ; et un jour il fit une réponse si humble à un de ses confrères, qui l’attaqua dans l’Aca- démie par une plaisanterie au sujet de ce démêlé, que per- sonne dans la suite n’osa le railler sur le même sujet. Lors- que Brossette fit imprimer la première lettre, il ne connaissait pas la seconde, qui n’était connue de personne, ni de nous- mêmes. Elle fut trouvée, je ne sais par quel hasard, dans les papiers de M. l’abbé Dupin ; et ceux qui en furent les maîtres après sa mort la firent imprimer.

Je reprends l’histoire des pièces de théâtre, et je viens à Andromaque. Ellefut représenléeen 16G7 , et fit, au rapport de M. Perrault, à peu près le môme bruit que le Cid avait fait dans les premières représentations. On voit, par Fépître dédicatoire, que l’auteur avait eu auparavant l’honneur de la lire à Madame : il remercie son altesse royale des conseils qu’elle a bien voulu lui donner. Cette pièce coûta la vie à Montfleiu-i , célèbre acteur : il y représenta le rôle d’Oreste avec tant de force, qu’il s’épuisa entièrement : ce qui fit dire à l’auteur du Parnasse réformé, que tout poète désormais voudra avoir l’honneur de faire crever un comédien.

La tragédie A’ Andromaque eut trop d’admirateurs pour n’avoir pas d’ennemis. Saint-Évremond ne fut ni du nombre des ennemis, ni du nombre des admirateurs, puisqu’il n’en fit que cet éloge : « Elle a bien l’air des belles choses : il ne « s’en faut presque rien qu’il n’y ait du grand. »

Un comédien, nommé Subligny, se signala par une criti- que en forme de comédie ’. Elle ne fut pas inutile à l’auteur critiqué, qui corrigea, dans la seconde édition A’ Androma- que, quelques négligences de style, et laissa néanmoins subsister certains tours nouveaux , que Subligny mettait au nombre des fautes de style, et qui ayant été approuvés de- puis comme tours heureux, sont devenus familiers à notre langue. Les critiques les plus sérieuses contre cette pièce tom- bèrent sur le personnage de Pyrrhus, qui parut au grand Condé trop violent et trop emporté, et que d’autres accusèrent d’être un malhonnête homme, parce qu’il manque de parole à Hermione. L’auteur, au lieu de répondre à une critique si peu solide , entreprit de faire dans sa tragédie suivante le portrait d’un parfaitement honnête homme. C’est ce que Boileau donne à penser quand il dit à son ami , en lui représentant l’avantage qu’on retire des critiques :

Au Cid persécuté Cinna doit sa naissance ;

Et ta plume peut-être aux censeurs de Pyrrhus

Doit les plus nobles traits dont tu peignis Burrhus.

La comédie des Plaideurs précéda Britannicus, et parut en 1668. En voici l’origine :

• Subligny n’était pas comédien , il était avocat , ou du moins il en prenait le titre. Sa comédie était intitulée la Folle que- relle, ou la critique à’ Andromaque. Elle fut jouée au mois de mai 1668, et imprimée la même année. Il annonçait dans la préface avoir trouvé plus de trois cents fautes de sens dans Andromar que. La Folle querelle a été réimprimée dans un recueil en deux volumes in-l2 de dissertations sur plusieurs tragédies de Corneille et de Racine , publié par l’abbé Granet. Subligny donna des leçons de versilication à la célèbre comtesse de la Suze. On a de lui une traduction des fameuses Lettres Portu- gaises, la Fausse Clélie, roman médiocre, et plusieurs opus- cules pour et contre Racine. ( A. M. )

Mon père avait enfin obtenu un bénéfice, puisque le pri- vilège de la première édition à’ Andromaque, qui est du 28 décembre 1667 , est accordé au sieur Racine, prieur de l’É- pinay : titie qui ne lui est plus donné dans un autre privilège accordé quelques mois après , parce qu’il n’était déjà plus prieur.Boileaulefuthuitouneufans ;mais quand il reconnut qu’il n’avait point de dispositions pour l’état ecclésiastique, il se fit un devoir de remettre le bénéfice entre les mauis du collateur ; et pour remplir un autre devoir encore plus diffi- cile, après avoir calculé ce que le prieuré lui avait rapporté pendant le temps qu’il l’avait possédé, il fit distribuer cette somme aux pauvres , et principalement aux pauvres du lieu ; rare exemple donné par un poète accusé d’aùner l’argent.

Son ami eût imité une si belle action, s’il eût eu à restituer des biens d’église ; mais sa vertu ne fut jamais à une pa- reille épreuve. A peine eut-il obtenu son bénéfice, qu’un régulier vint le lui disputer, prétendant que ce prieuré ne pouvait être possédé que par un régulier ; il fallut plaider ; et voilà ce « procès que ni ses juges ni lui n’entendirent, » comme il le dit dans la préface des Plaideurs. C’était ainsi que la Providence lui opposait toujours de nouveaux obstacles pour entrer dans l’état ecclésiastique, où il ne voulait entrer que par des vues d’intérêt. Fatigué enfin du procès , las de voir des avocats et de solliciter des juges, il abandonna le bénéfice, et se consola de cette perte par une comédie contre les juges et les avocats.

Il faisait alors de fréquents repas chez un fameux traiteur ’ où se rassemblaient Boileau, Chapelle, Furetière, et quel- ques autres. D’ingénieuses plaisanteries égayaient ces repas , où les fautes étaient sévèrement punies. Le poème de la Pu- celle, de Chapelain, était sur une table, et on réglait le nombre de vers que devait lire un coupable, sur la qualité de sa faute. Elle était fort grave quand il était condamné à en Ih-e vingt vers : et l’arrêt qui condamnait à lire la page entière était l’arrêt de mort. Plusieurs traits de la comédie des Plaideurs furent le fruit de ces repas : chacun s’em- pressait d’en fournir à l’auteur. M. de Brilhac, cx)nseiller au parlement de Paris, lui apprenait les termes de palais. Boi- leau lui fournit l’idée de la dispute entre Chicaneau et la comtesse : il avait été témoin de cette scène, qui s’était pas- sée chez son frère le greffier, entre un homme très-connu alors, et une comtesse , que l’actrice qui joua ce personnage contrefit jusqu’à paraître sur le théâtre avec les mêmes ha- billements , comme il est rapporté dans le Commentaire sur la seconde satire de Boileau ^. Plusieurs autres traits de cette comédie avaient également rapport à des personnes alors très-connues ; et par l’Intimé, qui, dans la cause du chapon, commence, comme Cicéron, pro Quintio : Quœ res dua : plurimumpossunt....graUaeieloquentia, etc.ondésignaiil un avocat qui s’était servi du même exorde dans la cause d’un pâtissier contre un boulanger ^. Soit que ces plaisan-

> C’était un cabaret à l’enseigne du Mouton blanc. Ce cabaret existe encore avec la même enseigne, place Saint-Jean. C’est dans une de ces réunions que furent esquissés les premiers traits de cette plaisanterie de Chapelain décoiffé par la Serre, qui courut dans le public sans l’aveu des auteurs. ( A. M. )

^ L’original de cette comtesse, dit un commentateur de Ra- cine , était la comtesse de Crissé, plaideuse de profession , et qui avait dissipé en mauvais procès une fortune considérable. Le parlement, d’après les demandes de Ja famille, lui fit défense d’intenter à l’avenir aucun procès sans avoir pris d’abord l’avis par écrit de deux avocats qui lui furent nommés par la cour. Cette interdiction de plaider la rendit furieuse , et elle passait ses jours à tourmenter ses juges et ses avocats. {Anomjme. )

3 Voici une autre anecdote qui avait beaucoup amusé le pa- lais. Un avocat nommé Montauban, connu par la longueur deses plaidoyers, ayant un jour été interpellé par le premier prési- dent de répondre s’il serait long, avait répondu que oui ; sur